Introduction

Japon : d’autres récits

En juillet 2020, nous lancions Ecrirea.tokyo, une rencontre mensuelle en ligne, dont l’ambition initiale était de clarifier le paysage de l’écriture en langue française autour de Tokyo et du Japon.

Nous nous sentions d’autant plus concernés que nous étions pour la plupart des auteurs non publiés, ou publiés via des médias à moindre visibilité. Cette clarification d’un domaine nourrissant et nourri de cette dynamique (parfois syndrome) qu’est cette « passion si française pour le Japon » n’avait pas pour objectif d’établir une cartographie fine d’un territoire fortement habité d’un fétichisme pour le moins remarquable ; il s’agissait plutôt de tracer une carte sommaire pour s’en écarter au plus vite en évoquant des lignes de fuite et pistes narratives autres, avec pour ambition de partir ailleurs, loin de la japonolâtrie.
Il ne s’agissait pas non plus de lancer un appel au dialogue contradictoire avec les acteurs de ce domaine, mais de proposer des textes autres, publiables d’abord par nous-mêmes.

Nous pourrions nous étendre sur les efforts fructueux qui ont permis de dégager les grandes lignes d’une taxinomie des genres et des catégories de ces écrits imbus du Japon, mais ce serait trahir la volonté de ne pas nous attarder dans ce territoire par trop source de malaises.

Soulignons seulement que cette fascination pour le Japon reste justement une question largement évitée par la recherche. Nous laissons les analyses plus poussées sur cet état de fait à plus compétents et plus investis.

Que le Japon soit l’objet de passion, cela ne date pas d’hier, si ce n’est sa marchandisation qui s’est considérablement intensifiée avec la financiarisation de tout, et l’explosion d’intérêts croisés dépassant de très loin le marginal et minuscule domaine de l’écriture.
Malgré tout, force est de constater, par exemple, que le domaine de l’écrit sur le Japon reste massivement investi par des non-japonisants, produisant ces écrits que nous avons dénommés « littérature de passage », faute de mieux, comme leurs acteurs sont dans leur majorité écrasante des personnes qui ne font que passer.

Les tropismes usés jusqu’à la corde y abondent; ils s’adaptent aux circonstances et aux événements historiques qu’ils mettent en exergue avec cette tendance au mimétisme d’entretien des affirmations vides de sens sauf pour l’hédonisme exhibitionniste. Mais peut-être faut-il être dans le jus du Japon, un liquide à multiples saveurs et ressentis, pour faire la part des choses plus marquantes, quoique moins spectaculaires ou convenues, rabâchées, et pourtant lucratives.

Nous pourrions ici poursuivre et tomber dans le travers que nous voulons justement éviter, par la fuite vers des tentatives d’autres écritures fortement dénuées de plan com. Car c’est d’écritures qu’il s’agit, non de « publiabilité », ce qui explique la diversité des écrits qui suivent. Loin de chercher à établir une quelconque vérité, encore moins une vision globale et ainsi arrogante, les textes rassemblés dans ce recueil sont de petites touches esquissées par quelques individus côtoyant le Japon au quotidien, en tant que résidents ou visiteurs récurrents, partageant la vie des insulaires depuis plusieurs années ou décennies, et très démunis dans le registre de la passion aveugle.

Notre démarche valorise la singularité de l’expérience de chacun, dans une volonté de tout dire, à la façon de la parrhèsia grecque. Dire tout: opter pour des discours, des modes d’écriture et d’expression qui ne sont pas soucieux de plaire mais d’être lucides, de dire vrai, sans génuflexion. Les contributions ici réunies reflètent ainsi des récits situés, forts d’une connaissance en profondeur de l’environnement tokyoïte, et japonais plus largement, mais qui ne se veulent pas tant savants que singuliers.

Nous invitons ardemment les lecteurs à lire les textes qui suivent avec l’ouverture d’esprit indispensable pour investir d’autres territoires. Larguez les amarres, comme nous l’avons déjà fait.